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Jürg Stäubli : Finance, La chute de l’Europe

L’année passée, le vaudois Jürg Stäubli avait gagné un appel d’offre émis par le gouvernement du Kirghizistan pour reprendre une banque. Riccardo Tattoni, lui, avait décidé d’investir dans une banque estonienne. Mais pourquoi partent-ils donc si loin pour investir dans le secteur financier ?

«L’économie mondiale change à une vitesse étourdissante, les banques sont soumises à de nouvelles exigences réglementaires et les marchés financiers asiatiques se développent avec un grand dynamisme », explique un communiqué de l’Association suisse des banquiers. Jürg Stäubli, administrateur de la société CF&C Finance Suisse SA et Riccardo Tattoni, CEO de la société CIGP l’ont bien compris. Comme plusieurs autres investisseurs occidentaux, ils se concentrent maintenant sur des marchés plus dynamiques que l’Europe occidentale et, plus particulièrement, que la Suisse.

Des clients plus exigeants et sensibles aux tarifs exercés, ainsi que de nouveaux « business models » et un franc suisse toujours très fort exerceront une pression supplémentaire sur les marges brutes des banques installées dans la Confédération Helvétique. De plus, les coûts augmenteront également du fait que celles-ci sont soumises à des exigences réglementaires toujours plus strictes et doivent améliorer la qualité de leurs produits et services en permanence, tout en montrant patte blanche aux autorités fiscales du monde entier. « Les employés du département Compliance sont les nouvelles stars de la banque !», s’exclame un banquier privé de la place genevoise qui a préféré garder l’anonymat. Sans compter les incertitudes politiques (domestiques et multilatérales) qui planent sur le secteur financier.

La fin du secret bancaire suisse est prévue pour 2018.

C’est un communiqué officiel du gouvernement de la Confédération qui l’a annoncé au début du mois d’octobre, après neuf ans de tractations et d’âpres négociations avec les principaux intéressés de la communauté internationale. «La Suisse confirme son intention d’introduire en temps utile les bases légales nécessaires à l’application de l’échange automatique de renseignements de manière à ce que les établissements financiers suisses puissent, dès 2017, commencer à collecter les données concernant les comptes des contribuables étrangers. Un premier échange de renseignements pourrait ainsi avoir lieu en 2018», déclare le texte. Jusqu’à aujourd’hui, la Suisse livrait les informations au cas par cas, avec lenteur et blocages. Lorsqu’un pays a un soupçon sur l’un de ses contribuables, il doit formuler une demande d’information détaillée au fisc suisse en précisant les coordonnées exactes du titulaire du compte et les raisons de la demande. D’ici 2018, les nouvelles lois prévoient un accès beaucoup plus aisé aux informations relatives aux ressortissants des pays demandeurs.

Comment le secteur sera-t-il affecté par tous ces changements ?

En l’absence de l’élément incitatif majeur qu’était l’évasion fiscale, il en va de la santé financière d’un pays que de développer une offre bancaire attractive afin d’éviter la fuite des capitaux si critique à sa croissance. De plus, comme l’explique très clairement un rapport de PWC daté de 2011, « La crise financière profonde de 2009 aura indéniablement changé le paysage financier global et marqué une implication plus importante des Etats dans le paysage bancaire. ». Ceux-ci ont donc davantage intérêt à ce que leur économie intègre un système financier sain et compétitif qui leur permettra d’une part de rapatrier et garder les avoirs de leurs contribuables et d’autre part, de stimuler leur économie.

Jürg Stäubli

A l’heure où plus aucune banque étrangère ne vient élire domicile en Suisse, certains hommes d’affaires helvétiques ont décidé d’aller voir ailleurs.

Tel a été le cas de Jürg Stäubli qui se rend au Kirghizstan pour la première fois en 2010 pour y rencontrer le ministre de la Justice. Ce dernier lui proposera un mandat de consultant afin de mettre sur pied un institut de banque et finance au sein de la Faculté des sciences économiques de l’université de Bichkek. De fil en aiguille, il s’imposera comme un interlocuteur de premier choix auprès des acteurs locaux. C’est dans son rôle avec l’université de Bichkek qu’il prendra connaissance de la mise en concours de la gestion de la Kyrgyzdyikanbank. Celle-ci deviendra la KSBC (Kyrgyz Swiss Bank Corporation) à la suite de l’obtention du mandat par Jürg Stäubli.

« L’avenir économique est en Afrique et en Asie. Il faut être dans ces marchés. Le Kirghizistan est le seul pays intéressant, car le processus démocratique a tellement avancé qu’il sera difficile de revenir en arrière», estime Jürg Stäubli.

Pour sa part, Riccardo Tattoni, l’ancien patron de la Société Bancaire Privée, mise sur l’Estonie. «L’Estonie est le pays idéal, avec une inflation très basse, une stabilité politique excellente et des conditions fiscales très intéressantes». Voilà pourquoi ce dernier a eu envie d’entrer dans le capital d’une banque qui jouit de son entrée en 2004 dans l’union européenne et qui affiche un bilan satisfaisant.

En Afrique, pour reprendre l’ascendant, les banques ont compris qu’il convenait de se concentrer sur la poursuite de la consolidation et du développement panafricain. Fusions, acquisitions et partenariat se succèdent à vive allure du Togo, au Nigeria en passant par l’incontournable Afrique du Sud. L’Afrique du nord n’est pas en reste : Au Maroc, la Banque populaire a racheté la moitié du groupe ivoirien Banque Atlantique et en a pris le contrôle opérationnel. Il y a certes encore fort à faire en termes d’environnement commercial, de gouvernance et d’anti-corruption, mais la tendance est à l’amélioration du climat d’affaire, notamment par l’essor des investissements étrangers provenant d’Asie.

Il va sans dire que les banquiers d’Europe occidentale, en particulier de Suisse, devront faire preuve de beaucoup d’ingéniosité pour continuer à briller sur le plan international, sans quoi les économies locales continueront à faire la moue encore longtemps.

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